republicación del original en le monde diplomatique
Hommage à Pedro Miras
J’apprends par Claudia Guttierez que mon ami Pedro Miras a rendu l’âme. Et je suis infiniement triste. Lui n’était jamais triste. Il avait la philosophie joyeuse. Son corps l’avait depuis un certain temps comme abandonné, mais l’esprit était intact. Il avait gardé son intelligence lumineuse, sa lucidité féroce, son humour toujours aussi corrosif, fût-il souvent bienveillant. J’ai toujours éprouvé pour lui depuis le premier jour de notre rencontre de l’admiration et du respect. Il incarnait pour moi tout à la fois l’Humanité et les humanités. A Paris, où il était en exil, exclu de l’université de son pays par la dictatutre militaire et accueilli par le CNRS français, il aura été avec Patricia Bonzi et Cristina Hurtado l’acteur central de notre réseau philosophique franco-chilien qui avait pour base le Collège international de philosophie, le Centre de recherches politiques de la Sorbonne et le département de philosophie de l’Université Paris 8. De retour avec la transition démocratique à l’Université du Chili, où il aura mis sa dignité à reprendre sa carrière interrompue, il a été de tous les évènements qui ont marqué ce dernier quart de siècle la scène philosophique franco-chilienne, de l’opération un avion de livres pour le Chili au colloque Spinoza et la politique de Santiago, et de la création de la première chaire UNESCO de philosophie à l’hommage à Humberto Giannini. Je me souviens d’une soirée d’hiver parmi bien d’autres chez Humberto et Luisa, avec Pedro et Patricia et José Echeverria, où il avait chanté des airs de tango et d’opéra, et où il n’était question, entre deux piscos, que de l’aperception immédiate chez Maine De Biran et des Essais de Michel de Montaigne : j’avais été une fois de plus saisi par l’immense connaissance qu’avaient Pedro et ses amis de la culture française et universelle, littérature, beaux-arts et philosophie mêlés, bien supérieure à la mienne. Admiration de Pedro Miras, parce qu’il était, à l’image des érudits de la Renaissance, pénétré par les humanités. Mais aussi respect pour un homme qui avait le souci, en toutes circonstances, de l’humanité. Il ne parlait jamais de sa résistance à la dictature, comme tous ceux qui, comme Georges Canguilhem, se refusent à faire étalage de ce qu’ils considèrent comme des actions et des paroles nécessaires pour la préservation d’une dignité partagée. Sauf dans le dernier entretien qu’il nous avait accordé, à Gustavo Celedon et à moi-même, et qui a été filmé. Dans « Memoria et historia », le très beau texte qu’il nous avait donné pour un livre publié l’année dernière aux éditons Lom avec Fedra Cuestas, il a écrit : « Digamos que buena parte de nuestros recuerdos aspira a la comunicacion, y que de esta forma el acervo cultural del grupo se acrecienta, su propria hosoria, su identidad. Es entonces un deber nuestro, de aquellos que hemos sobrevivido estos ultimos cuaranta anos, el sacar de la luz, desde las remembranzas a los quebrantos, todo aquello que pueda intentarse, con su verdad, en nuestra historia contemporanea. Pues al no querer nombrar una situacion como lo que verdaderamente fue- dictadura en vez de gobierno militar, o senalar la conveniencia de no mirarr al pasado sino a futuro – lo que se pretende es borar de esa totalidad de recuerdo, acto y proyecto, que conforman tanto nuestra identidad personal como colectiva, parte importante de su base fundamental, que es la memoria ». Admiration et respect pour Pedro Miras : tel est le message que je voudrais transmettre à sa femme et à son fils en ce jour de tristesse, pour l’enterrement de mon ami Pedro, qui n’était, quant à lui, jamais triste.
Patrice Vermeren
Professeur émérite au département de philosophie de l’Université Paris 8
Professeur honoraire à l’Université du Chili